Il est 9h, le Pont d’Iéna frémit. Face à la Tour Eiffel, une marée humaine s’élance, portée par l’envie, le défi, la joie brute de courir ensemble. Les Vredestein 20 km de Paris, c’est ça : une course mythique, née en 1979, qui chaque année réinvente le lien entre sport et ville, entre effort et beauté. Le parcours, toujours aussi somptueux, déroule ses kilomètres le long de la Seine, traverse les allées dorées du Bois de Boulogne, frôle les monuments comme on frôle des souvenirs. Cette année, pour fluidifier le départ record – 33 000 dossards, une première – les organisateurs ont modifié le dernier kilomètre. Une légère courbe, un virage de plus, mais toujours cette arrivée majestueuse, au pied de la Dame de fer.
Etienne Daguinos n’a pas couru. Il a volé. Dès les premiers hectomètres, le Français a pris les commandes, le regard vissé sur son chrono. Il avait prévenu : « Je vise les 57 minutes. » Il a fait mieux. Beaucoup mieux. 56’18. Un temps fou. Un record pulvérisé, vieux de vingt ans, celui du Kenyan Evans Kiprop Cheruiyot. Derrière lui, Emmanuel Roudolf-Levisse (56’31) et l’Espagnol Said Mechaal (56’32) ont eux aussi battu l’ancien chrono de référence. Quatre hommes sous les 57’19. Une pluie de records, un orage de performances. Le vainqueur du jour, nerveusement marqué par Tokyo, a demandé un relais à Said Mechaal après 38 minutes. Mais le ravitaillement l’a ressuscité. Il a relégué ses rivaux au rang de spectateurs, filant vers la victoire comme on file vers son destin.
Chez les femmes, la coureuse Kényane Mercy Chebwogen a fait cavalier seul. Une course de patronne, sans trembler, sans faiblir. Elle franchit la ligne en 1h04’58, battant le record de Rose Chelimo (1h05’01) établi en 2014. Derrière elle, Kaoutar Farkoussi (1h05’55) et Manon Trapp (1h06’15), tenante du titre, complètent un podium de haut vol.
Mais les 20 km de Paris, ce n’est pas que l’élite. C’est aussi Thibault Daurat, vainqueur de la course handisport, devant Julien Casoli et Lito King Anker. C’est Shaunah Bocquet, impériale en fauteuils femmes. C’est Clément Gass, malvoyant, qui boucle la course en autonomie grâce à une canne connectée et un GPS. C’est Frank Leboeuf, parrain de l’édition, qui remet 80 000 euros à l’association Le Bleuet de France. C’est aussi ce monsieur de 83 ans, cette dame de 75, qui franchissent la ligne avec le sourire d’un premier amour. C’est Anaïs Quemener dans le top 10, c’est les bénévoles, les familles, les cris, les larmes, les applaudissements.
Aujourd’hui, Paris n’a pas seulement couru. Elle a respiré plus fort. Elle a battu plus vite. Elle a prouvé que le sport, quand il est populaire, solidaire et libre, peut faire tomber les records et soulever les cœurs. Et dans ce souffle collectif, il y avait un peu de chacun de nous. Une foulée, un rêve, une victoire…