Tel un funambule, Tuerie avance entre les sentiments. Sa voix, un velours râpé, murmure les plaies et les passions. Avec „Les Amants Terribles“ , il livre une œuvre à la fois dense et vulnérable, un recueil amoureux, non pas au sens romantique du terme, mais embrassant toute la violence et la beauté de l’amour : la dépendance, l’obsession, la tendresse, et la chute. Ce n’est pas un album sur l’amour, mais un album dans l’amour. Chaque morceau se révèle comme un polaroïd flou d’une relation qui, tour à tour, s’effondre et se sublime. Dans „FLOP“, interprété sur la scène de COLORS, Tuerie chante l’échec sentimental telle une confession murmurée sous autotune. Il y a du gospel dans sa manière d’ériger le sentiment en matière sacrée. Ici, point de couple parfait, ni de revanche flamboyante. Seulement des vérités bancales, des voix en quête d’écho, des affects qui s’emmêlent.
Depuis ses débuts, Tuerie cultive sa différence. Ni puriste du boom bap, ni adepte assumé de la trap, son univers hybride voit se croiser soul, lectures intimes et images puissantes. Dans un paysage rap souvent saturé de formats et de figures imposées, il impose un rythme lent, organique, presque anachronique. Nul featuring aligné pour plaire aux algorithmes, nulle chorégraphie TikTok destinée à appâter le chaland.
Musicalement, Tuerie continue de brouiller les pistes. Il pose sa voix, tantôt rappée, tantôt chantée, sur des productions qui puisent avec audace dans la soul, le R’n’B, le rock psyché et la pop française. On y décèle des échos de Prince, des couleurs à la Frank Ocean, des tensions à la Gainsbourg. L’ensemble se construit dans la subtilité : des accords mineurs nappés de silence, une ligne de basse en filigrane, une guitare qui s’étire comme une larme.
Ce qui traverse tout le disque, c’est un refus viscéral du cynisme. Là où d’autres se protègent derrière l’ironie, Tuerie assume pleinement la fragilité, la faille, voire la honte parfois. Il parle de jalousie, de manipulation, de dépendance affective, mais toujours en s’incluant lui-même dans cette vulnérabilité. Il est à la fois le bourreau et la victime, le héros romantique et son double abîmé. „Les Amants Terribles“ n’apporte aucune solution toute faite. Ce n’est pas un disque de reconstruction, mais un journal de bord en pleine tempête. Et pourtant, l’auditeur en ressort apaisé. Car en donnant une voix à ces fêlures, Tuerie transmue l’amour en un terrain d’expression artistique. En assumant parfaitement la complexité des sentiments, Tuerie réussit à faire de l’intime une expérience collective et rappelle, peut-être, que transformer les blessures en beauté demeure l’un des pouvoirs les plus précieux de la musique. „Les Amants Terribles“, ce sont ces histoires qui ne s’achèvent jamais vraiment et qui continuent de résonner longtemps après l’extinction de la dernière note.