Aaron Durogati venait de s’imposer dans un final haletant, après plus de 1 283 kilomètres d’odyssée aérienne et de chevauchées montagnardes. Sept jours, huit heures et trente minutes. C’est ce qu’il aura fallu à Aaron Durogati pour dompter les Alpes avec style. Le dernier jour, ils étaient quatre à jouer la victoire comme une bande de potes qui ne s’accorde aucun cadeau : Chrigel Maurer le maître suisse archi favori, Lars Meerstetter le rookie fougueux, Simon Oberrauner le stratège, et Aaron Durogati, 38 ans, tout sourire, mais le mental rivé à l’horizon. Ils se sont élancés depuis les crêtes suisses comme une escadrille au petit matin, propulsés par les thermiques et leur rage douce. Tandis que certains choisissaient les hautes routes, Aaron traçait au plus court, rasant les vallées, flirtant avec les limites. À 19 h passées, il posait son aile au sommet de la Schmittenhöhe et levait les bras. „J’ai gagné ! Et je pense que c’est avec un sacré style“, lançait-il, hilare, les yeux encore pleins du ciel.
Mais l’histoire qui m’a renversé, c’est celle de Céline Lorenz. La seule femme du plateau, planant dans un océan d’hommes et d’altitudes. Une guerrière de Haute-Bavière qui, au cinquième jour, aurait pu tout plaquer. Panne sèche en altitude, posée dans une vallée perdue, elle aurait pu appeler l’hélico. Elle a préféré marcher. Six heures de combat, seule dans les pentes, à pousser ses limites comme on repousse l’abandon. Elle terminera 26ᵉ sur 33, avec 1 034,3 kilomètres dans les jambes et dans l’aile. À l’arrivée, un sourire un peu flou, un peu lessivé : „Il ne me manque plus qu’un peu de sommeil. Mais je suis satisfaite de mes décisions“, classe !
Et puis il y a Chrigel Maurer. Huit fois roi du X-Alps, et cette fois… quatrième. Il avait parié sur les cimes, sur des lignes plus hautes. Mais le vent n’a pas voulu. Derrière ses lunettes, au sol, il était silencieux. Il avait essayé. Et rien que pour ça, respect.
Les autres finiront comme ils peuvent. Certains marcheront pendant des jours encore. D’autres n’iront pas jusqu’au bout. Mais tous auront goûté à cette chose précieuse : voler au cœur du monde, là où l’effort et la liberté se fondent en une seule trace dans le ciel. En attendant 2027, on repliera les ailes. Mais dans un coin de tête, cette course restera. Comme une musique d’altitude qu’on n’oublie jamais.