La collaboration entre Jean Michel Basquiat et Andy Warhol était à la fois productive et passionnante, mais aussi difficile. Une relation artistique unique, où les deux artistes ont travaillé ensemble sur plusieurs projets. Senti sous-estimé par Andy Warhol, Jean Michel Basquiat a toutefois persisté sur leur duo artistique jusqu’à la mort d’Andy Warhol en 1987. Par Khalad

Comment deux des artistes new-yorkais les plus célèbres, mais antagonistes, ont-ils fini par collaborer, et pourquoi ? Aujourd’hui, les deux esthètes sont considérés comme des grands. Les tentacules de leur influence atteignent encore de jeunes artistes, des légions d’expositions de musées et leur art rapportant des sommes alléchantes aux enchères. Mais au milieu des années 80, leur réputation n’est pas assurée. Andy Warhol, déjà icône mondiale, mais sa belle étoile était sur le déclin, Jean Michel Basquiat, quant à lui, était un jeune artiste mondialement reconnu, mais sa carrière n’en était qu’à ses balbutiements.

Photos: Fondation Louis Vuitton/Marc Domage/Michael Halsband/The Estate of Jean-Michel Basquiat/The Andy Warhol Foundation/Khalad

Dans cette période du début des eighties à New York, la nouvelle révolution yuppie, a redonné un boom au marché de l’art et… un revirement total par rapport à une dizaine d’années auparavant, où il était sur le point de déposer son bilan. Au milieu du glamour et de la somptuosité du moment, ces deux personnalités très différentes se sont heurtées

Succès storys

Andy Warhol vivait une vie très éloignée de la contre-culture des années 1960 et de son studio, la Factory, où il avait créé ses plus beaux travaux, des Marilyns, Liz-es et Jackies, en passant par les accidents de voiture et les chaises électriques, jusqu’aux films documentants le demi-monde bohème qu’il avait nourri. Ensuite, après avoir échappé de justesse à une tentative d’assassinat par l’artiste Valérie Solanas en 1968 par trois coups de feu, lui perforant le poumon, la rate, l’estomac, le foie et l’œsophage, sa vie et son art ont changé. Les grosses bouches caractéristiques peu recommandables ont disparu au profit de célébrités et même de membres de la royauté, qu’il a documentés de manière obsessionnelle dans des Polaroids et autres peintures des plus ennuyeuses. Habitant à l’est de Long Island dans une grande maison et se déplaçant en Rolls, il a fondé le magazine de cinéma Interview, qui deviendra par la suite un magazine people haut de gamme. Dans les années 80, la plupart des gens ont rencontré Andy Warhol non pas à travers son art, mais à travers des photos de potins autour de sa personne dans les grands repaires VIP de New York. A l’opposé, Jean Michel Basquiat, jeune afro-américain a fait soudainement irruption sur la scène artistique new-yorkaise des années 1980, avec ses étranges peintures, mélanges de graffitis, de logos et d’art populaire. L’artiste rencontre rapidement le succès, qui coïncide avec l’intérêt et la reconnaissance, au même moment, des manifestations artistiques urbaines et populaires tel que le graffiti. Et comme beaucoup d’artistes de cette nouvelle génération, il admirait Andy Warhol qu’il considérait un peu comme son „grand héros“ après avoir lu le livre : La philosophie d’Andy Warhol de A à B. Contrairement à son compatriote, il a grandi dans une famille de classe moyenne de Brooklyn. Pourtant, il s’est d’abord fait connaître dans les rues de New York, en tant que graffeur littéraire et philosophique avec le collectif SAMO (en collaboration avec le graffeur de rue Al Diaz.

La grande percée du jeune artiste est survenue lors de l’exposition New York/New Wave à la galerie PS1 en 1981, où le dynamisme et la franchise de ses peintures l’ont vu salué comme le nouveau Robert Rauschenberg (Précurseur du pop art). Immédiatement, le marché sur „Basquiat“ explosa rapidement, il finit par rejoindre les célèbres galeries de l’époque, Bruno Bischofberger et Mary Boone.

Un rapprochement inéluctable

L’argent a coulé à flot et Jean Michel Basquiat a peint de manière prolifique et a vécu à l’excès. Les histoires de ses éclaboussures d’argent sont époustouflantes, comme dans les clichés des films des années 1980 : des piles de billets de cent dollars sur les,tables lors de fêtes, la peinture dans des costumes de créateurs, la consommation des meilleurs vins… Avec comme lien de cause à effet, un énorme appétit pour la cocaïne et l’héroïne. Qu’il ait réussi à créer autant d’œuvres qu’il en a faites est franchement un miracle. Andy Warhol et Jean Michel Basquiat se sont rencontrés pour la première fois en octobre 1982 et leur travail de collaboration a vraiment commencé quelques années plus tard. Au début, l’artiste afro -américain en duo avec la jeune artiste Jennifer Stein faisait des des collages de cartes postales, les vendant pour un dollar et Andy Warhol en a acheté. Il était bien intrigué tant par le, personnage que sa personnalité. Quelques temps auparavant, sur un trottoir de Greenwich Village, Andy Warhol a aidé un peu Jean Michel Basquiat qui peignait des T-shirts, en lui donnant quelques billets de 10 $ ici et là pour ses fameux T-shirts. À cette époque, Jean Michel n’était pas encore inscrit dans la cour des grands mais toutefois repéré.

Photos: Fondation Louis Vuitton/Marc Domage/Michael Halsband/The Estate of Jean-Michel Basquiat/The Andy Warhol Foundation/ Khalad

Sa première exposition personnelle a eu lieu à la Fruitmarket Gallery d’Édimbourg en Ecosse, un mois avant que le trio avec Francesco Clemente et Andy Warhol se forme. Apparu en couverture du magazine New York Times, au titre explicite : „New Art, New Money: The Marketing of an American Artist“, l“enfant de Brooklyn était largement considéré comme un artiste de marché. Pour Andy Warhol, même malgré des années relativement arides artistiquement, il était inscrit dans les musées. Chacun d’eux, essayait de tirer un peu parti de la possibilité d’une relation avec l’autre. Et c’est le marchand d’art suisse Bruno Bischofberger qui a forcé un peu cette relation en 1984 après avoir initié une triplette de voyage artistique entre son jeune poulain, Andy Warhol et l’artiste italien Francesco Clemente. Ils devaient faire trois peintures distinctes et un dessin issu de leur propre imagination en se les partageant entre eux. Chacun des trois artistes ajoutant au travail de l’autre dans son style unique.
Les trois artistes ont continué cette expérience entre eux pendant environ un an, mais fin 1984, Andy Warhol et Jean Michel Basquiat ont commencé à collaborer secrètement seuls, poussant le peintre italien Francesco Clemente à les abandonné après leur première exposition.

Qui se ressemble, s’assemble

Leur collaboration a débuté par des sérigraphies, dans lesquelles Andy Warhol avait déjà travaillé, que Jean Michel Basquiat a ensuite peintes ou annotées de ses propres mots et symboles. Ils ont également travaillé ensemble sur la série „Ten Portraits of Jews of the Twentieth Century“ en 1980, dans laquelle Andy Warhol a photographié les personnalités juives éminentes, tandis que Jean Michel Basquiat a ajouté des symboles et des surnoms à chaque portrait.

Photos: Fondation Louis Vuitton/Marc Domage/Michael Halsband/The Estate of Jean-Michel Basquiat/The Andy Warhol Foundation/ Khalad

Leurs peintures collaboratives, des œuvres étaient décrites comme un empilement de deux voitures de style complètement différent. Jean Michel Basquiat était un „peintre émouvant“ qui peignait à partir de sa propre douleur et avec un élément spirituel dans tout cela. Découvrir des vérités les plus profondes sur ces deux personnages troublants est compliqué. Andy Warhol était célèbre pour son image publique vierge, Tout en „oh, gee“ et “ wow „, comme ses interviews monosyllabiques légendaires. Il répondait de manière inadéquate, comme un enfant, souvent sans savoir que faire des questions qui lui étaient posées. C’était toutefois un personnage fortement organisé, né en partie de la timidité et aussi d’une police d’assurance contre le fait d’être détesté, d’être mal compris. Jean Michel Basquiat, lui aussi, fut extrêmement complexe. Sa dépendance à la drogue, et la pression qu’il subissait cachaient sans doute la douleur qu’il portait depuis son enfance. Pourtant, son expérience dans une scène artistique majoritairement blanche, en tant que créateur noir dans le monde de l’art de cette époque le perturbait. La relation entre les deux avait „plusieurs couches“, de manière appropriée, étant donné qu’elle a été largement dramatisée par la presse,  mais l’une des complexités de leur relation était la manière dont chacun d’eux s’etait engagé dans des notions de mise en scène. Dans leurs peintures collaboratives, la façon dont ils se défiguraient en s’engageant consciemment dans une sorte de provocation d’un duo maître/protégé. Mais à chaque œuvre, la performance imprègne le travail de Jean Michel Basquiat.

Objets de critiques

Lorsque l’exposition en duo s’est ouverte à la galerie Tony Shafrazi en septembre de l’année suivante, les couteaux des critiques ont été aiguisés. Le New York Times a décrié Jean Michel Basquiat comme la „mascotte“ d’Andy Warhol.

Photos: Fondation Louis Vuitton/Marc Domage/Michael Halsband/The Estate of Jean-Michel Basquiat/The Andy Warhol Foundation/ Khalad

Tout le showbiz autour de l’exposition, y compris ces tristes et célèbres photos de boxe, n’avaient pas vraiment aidé. Bruno Bischofberger, le galeriste suisse impitoyable, qui est derrière cette mise en scène, pensait qu’en prenant deux champions ou deux artistes primés, qu’il pouvait doubler la réputation de chacun, ou utiliser chacun d’eux pour consolider la réputation de l’autre. Mais dans le critiques le message était clair : „Eh bien, attendez une seconde, où est l’authentique, l’authentique?“ Cependant, les deux protagonistes étaient tous les deux bien conscients de la politique dans laquelle ils s’engageaient en termes de réception, de leurs différences générationnelles et raciales et de leurs différences artistiques, cela faisait partie de ce avec quoi ils jouaient. L’artiste dessinateur Keith Haring, dont la propre relation avec Jean Michel Basquiat a fait l’objet d’un nouveau livre, Crossing Lines, avait assisté à certaines des séances de peinture , „Andy a été étonné par la facilité avec laquelle Jean Michel avait composé et construit ses peintures“, écrivait t’il en ajoutant „Chacun a inspiré l’autre à surpasser le suivant.“ Leurs collaborations se sont apparemment déroulées sans effort mais Andy Warhol était à la fois intrigué et intimidé par son voisin de peinture. Peindre avec Jean-Michel n’était pas facile mais il appréciait l’énergie avec laquelle Jean Michel éradiquait totalement une image en valorisait une autre. Dans le meilleur des tableaux collaboratifs, cet équilibre d’énergie et de tension est palpable. Dans Arm and Hammer II, qui figurait dans le spectacle Barbican, le portrait de Charlie Parker complet avec saxophone, la marque de fabrique de Jean Michel Basquiat, sans doute ironique, avec des textes griffonnés „COMMEMERITVE “ et „LIBERTY “ effaçaient presque la main d’Andy Warhol. Mais cela a marqué un véritable tournant, cela allait dans les deux sens. Andy Warhol prenait un pinceau, et au même moment-Jean Michel Basquiat s’adonnait à faire de la sérigraphie en achetant une photocopieuse pour son studio. Donc, ils commençaient tous les deux à flirter avec d’autres médias. Pensant être considéré par le public comme le „toutou“ d’Andy Warhol, Jean Michel Basquiat avaient pris ses distances de l’artiste plus âgé. Les gens pensaient ouvent qu’après avoir eu le genre de grosse dispute, ils ne parleraient plus jamais, et ce n’était pas le cas, car il y avait des cartes postales écrites par Jean Michel Basquiat à Andy Warhol dans les archives de ce dernier. La mort d‘Andy Warhol en février 1987 aurait durement touché son jeune compatriote :Basquiat était inconsolable, il avait peint Gravestone, un triptyque, en réponse, et avait assisté au mémorial d’Andy Warhol. Il perdra tout contrôle sur sa vie. En 1988,  il se rendit à Paris à un défilé de mode et se liera avec un artiste ivoirien, Ouattara Watts. Il a participé au festival de jazz de la Nouvelle Orléans en 1988. De retour à New York, il voulait s’installer en Afrique. Dans sa fin de vie, sa peinture était différente, il mourra le 12 août 1988 d’une surdose d’héroïne à l’âge de 27 ans.

Photos: Fondation Louis Vuitton/Marc Domage/Michael Halsband/The Estate of Jean-Michel Basquiat/The Andy Warhol Foundation/Khalad

En bref :

BASQUIAT × WARHOL, À QUATRE MAINS

Exposition du 5 avril 2023 au 28 août 2023

Fondation Louis Vuitton
8 Avenue du Mahatma Gandhi
75116 Paris 16
www.fondationlouisvuitton.fr