Mais qui est le D ? Derrière le masque customisé par ses soins, le jeune homme laisse apparaître des yeux malicieux et souhaite garder le mystère sur son prénom :« Je préfère rester anonyme, parce que j’aime tout l’imaginaire qu’il y a autour de l’identité d’un artiste. »
Mais s’il préfère taire son identité, le street artist n’est pas avare de paroles, et partage avec plaisir ses réflexions et ses idées foisonnantes.
Ce qui l’a fait connaître sur TikTok, où il regroupe à ce jour près de 40 000 abonnés sous le pseudo « où est le D », c’est son format de vidéos dans lesquelles il récupère des encombrants dans la rue, pour les parer de ses dessins. Le dessinateur dépose ensuite ses œuvres ailleurs et offre aux spectateurs du réseau social la liberté de venir les récupérer : » L’art, c’est pour tout le monde. »
Nous le retrouvons dans un magasin de fournitures d’art, où le D doit refaire ses stocks de peinture acrylique, son matériel de prédilection. L’avantage de cette peinture est qu’elle résiste aux intempéries et tient longtemps sur différents supports.
Non loin du magasin, il identifie des planches. Quelques secondes suffisent à son choix de support, et nous nous rendons dans un parc pour que la magie ait lieu: « J’aime bien être posé pour dessiner. »
Naturellement, sa main trace des lignes qu’il semble maîtriser à la perfection. Dans ses œuvres se cachent des personnages, des animaux, des arbres, des routes, et de nombreux autres détails que le spectateur s’amuse à chercher : « J’ai trouvé mon nom d’artiste il y a trois ans. Il vient de la bande dessinée Où est Charlie ? Parce que je cache des choses dans mes dessins. »
Le D dessine depuis toujours, mais c’est le confinement qui l’a motivé à en faire son activité principale.
Dans ses créations, des personnages souriants dégagent une bienveillance rafraîchissante :„Je suis quelqu’un de très joyeux et optimiste. Mais j’ai aussi un côté plus sombre. »
Je me libère de ce poids grâce à mon art. Il me permet de m’évader de l’enfermement qu’on peut ressentir à cause de la routine par exemple. »
En extériorisant des émotions qui lui pèsent au quotidien, le street artist a un objectif : partager et rassembler les personnes qui ressentent la même chose.
Cela marche bien avec ses amis artistes. Ensemble, ils partagent leurs doutes, leurs questionnements : « On se donne de la force mutuellement et on accepte les chemins des autres. » Communiquer avec des mots ou des dessins pour se sentir mieux, c’est une méthode qui porte ses fruits : « Mon art est le prolongement de ce que je suis, et ce que je suis, c’est des imperfections et des choses pas toujours faciles à avouer. »
Selon lui, si ses projets plaisent autant, c’est parce qu’il exprime et explique ce qu’il fait : « Beaucoup de gens font ce que je fais, j’ai juste mis des mots dessus. Aujourd’hui dans l’art c’est important d’expliquer pourquoi on fait certaines choses, et moi j’ai toujours eu envie de montrer mon univers. »
Le D ne cache pas qu’il reçoit de nombreuses commandes via les réseaux sociaux, ce qui lui permet de vivre de sa passion aujourd’hui. Après avoir commencé le toit d’un bus transformé en restaurant, l’artiste nous a retrouvé dans le 9ème arrondissement de la capitale pour une commande de la mairie : décorer un conteneur rouge avec ses motifs célèbres.
Les mains noires de peinture, le dessinateur s’affaire sur cette ludothèque pas très appréciée des passants, car le conteneur détonne dans le paysage. Il a pour mission de rendre ce gros cube rouge plus agréable à regarder pour les habitants.
L’artiste commence par recouvrir la surface de lignes et de formes noires, qui finit par le lasser tant la surface à recouvrir est grande. Il ajoutera ensuite des couleurs dans les tons bleu et vert pour égayer la structure.
Les passants s’arrêtent parfois :« C’est super avec des couleurs comme ça ! J’habite juste en haut donc j’ai suivi la progression, c’est vraiment bien ! »
Le D s’amuse des réactions des passants :«Tout à l’heure un homme a fait : ça, c’est de l’art ! »
Les habitants, les ouvriers, les passants et les familles qui passent par là ont maintenant une œuvre d’art à portée de vue, portée de rue. Les artistes de rue transforment l’espace urbain et produisent nos lieux de vie et nos quotidiens plus colorés, plus animés. Pour les personnes qui n’ont pas ou peu accès à l’art plus classique, cette discipline offre un accès libre à des œuvres qui valent largement celles présentes dans les musées.
L’art est partout en partie grâce à eux. Les artistes urbains sont des acteurs importants dans le monde artistique de ce siècle et de ceux à venir. Ils influencent des jeunes talents à se dévoiler et à créer, comme peut-être la fillette qui s’est arrêtée devant le conteneur décoré et dont la mère s’est amusée :« Elle veut regarder comment vous faites ! »
Même si le D a seulement deux bras pour dessiner, ce sont deux cerveaux qui forment le projet artistique : «Mon meilleur ami Lucas est devenu mon collaborateur. On réfléchit ensemble, et quand je doute de moi il me soutient et m’encourage. »
Le D s’inspire beaucoup du rappeur Rem’s : « C’est un rappeur qui fait aussi du street art. Il fait ce qu’il veut et trouve toujours de nouvelles idées. »
L’artiste s’entraîne chez lui ne veut surtout pas stagner : “ Ce que je montre, c’est ce qui est au point. Mais je veux m’améliorer et tester de nouvelles choses pour pouvoir partager mon univers. „
Ses longues recherches d’un atelier ont enfin porté leurs fruits, et il jouit depuis septembre d’un endroit de 10 m2 où il peut s’entraîner et tester de nouvelles choses comme la peinture.
La date à retenir sera en janvier, pour la prochaine exposition de l’artiste : le jour reste à préciser, mais le projet est déjà bien ancré dans son esprit.
Cette prochaine exposition sera donc bien différente de „Bleu“ qui a eu lieu du 17 au 23 juillet dernier et qui a eu beaucoup de succès : “ Un père et son fils sont même venus de loin juste pour venir voir cette exposition et faire une activité tous les deux. Ça m’a beaucoup touché. „
Quant à ses objectifs, l’artiste ne préfère pas s’en fixer : « Je n’ai pas de regrets. Si je rate une occasion je me dis que ce n’est pas grave, si j’en ai tant mieux, sinon tant pis. Je ne fonctionnais pas comme ça avant de me mettre au dessin. »
Dans un coin de sa tête, le D espère tout de même avoir la chance un jour de réaliser une façade d’immeuble.
Depuis que le D s’est lancé dans ce projet artistique à temps plein, cela semble bien porter ses fruits. L’artiste est reconnaissant pour ce succès : « Je vis des choses très belles: tous les gens que j’ai rencontrés, toutes les discussions avec mes amis… J’ai une nouvelle rigueur, une certaine stabilité. Plus je progresse et plus je me félicite, parce que pendant longtemps je n’étais pas fier de moi, mais aujourd’hui je peux dire que je le suis ! »