Quand Saint Levant chante, sa voix est posée, douce, il mélange le français, l’anglais et l’arabe dans des morceaux de rap aux paroles géopolitiques et porteuses d’espoir, légèrement entachées de mélancolie. Derrière l’artiste, il y a un jeune palestinien, Marwan Abdelhamid qui, à seulement 21 ans, fait déjà fleurir de nombreux projets. Il n’a pas de temps à perdre et nous demande si ça ne nous gêne pas qu’il fasse la cuisine pendant notre discussion. L’ambiance très détendue et bienveillante indique que le jeune homme se sent bien dans son studio à Santa Barbara, en Californie. C’est la quatrième année qu’il passe dans cette ville où il étudie les sciences politiques et les relations internationales à l’université. Il manie parfaitement le français et l’anglais, qu’il mélange parfois dans ses phrases comme si de rien n’était.
Marwan naît en 2000 à Gaza, en Palestine, d’une mère franco-algérienne et d’un père serbo-palestinien : „A la maison, on parle français. On fête Noël et on fait des raclettes“. Son sourire, lorsqu’il évoque sa famille, témoigne de l’amour qui les lie, et ses parents ne sont pas innocents dans sa passion pour la musique. Son père, Rashid, est producteur de films et joue de la guitare. Depuis très jeune, Marwan pratique le saxophone et le piano. Il est alors déjà artiste : “ Petit, je dansais souvent, j’imitais Mickaël Jackson, avec la perruque et les gants !“
Il va à l’école américaine et y apprend l’anglais et le sens du business qui semble lui ouvrir de nombreuses portes aujourd’hui. Mais en 2007, la guerre civile à Gaza oblige la famille de Marwan à quitter le pays pour se réfugier en Jordanie : „Le Hamas montait en puissance et ils ne voyaient pas d’un bon oeil les occidentaux, donc mon père qui possédait un hôtel a été plusieurs fois menacé à cause de son activité“. Il grandira donc à Amman, la capitale jordanienne, et y peaufinera son arabe appris dans la rue avec son club de foot de réfugiés.
Gaza, c’est la ville qui reste dans son cœur et dans ses souvenirs. Son rêve d’y retourner transpire dans ses musiques, mais le voyage est complexe en raison de la situation politique du pays. Marwan s’attache à l’espoir de rentrer un jour dans le pays qui l’a vu naître : „Ici, en Californie, je médite tous les jours près de la mer. Ça me rappelle Gaza et la vue sur la mer qu’il y avait là-bas, ça me rend heureux d’imaginer la revoir dans mon pays natal.“
C’est baigné dans cette multiculturalité que le poète écrit ses textes forts de son identité d’une richesse inouïe. Il ne s’inspire pas seulement de son parcours, de sa famille et de ses expériences, mais il est aussi friand de tout ce qui peut enrichir sa musique.
Le plus étonnant, c’est que l’artiste Saint Levant n’existe que depuis 6 mois : „En 2021, j’ai fait une crise de la vingtaine, j’avais tellement de projets sur lesquels je travaillais en même temps, et je me suis dit que si je ne prenais pas le temps pour me concentrer sur ma musique, je le regretterai toute ma vie.“
Marwan devient alors Saint Levant, une contraction de la région géographique dont il est originaire et d’une référence à une marque, ou à l’homme saint : „J’aimais bien, je trouve que ça fait comme un nom de marque, et c’est assez stylé.“
À travers l’artiste, Marwan veut créer une communauté qui lui ressemble, car ce qui le fait souffrir, c’est de ne jamais s’être senti réellement chez lui : „Depuis toujours, je me suis intégré dans celles des autres, mais mon souhait est de créer ma communauté et que d’autres personnes s’y retrouvent.“
En Californie, il rencontre son producteur et ami Henry Morris au sein de la fraternité dans laquelle il loge avec onze autres garçons : „Il m’a dit : demande-moi, je te fais ce que tu veux comme rythme“. De leur entente naît „Jerusalem“, une chanson en anglais qui témoigne de la volonté du chanteur de retourner en Palestine. Marwan avoue qu’il avait en réalité 16 ans lorsqu’il a enregistré sa toute première musique : „Je ne l’ai pas sortie parce qu’on m’a fait comprendre que si je le faisais, j’aurai du mal à entrer dans l’école de mon choix.“
Avant d’avoir des textes aussi puissants qu’aujourd’hui, Marwan se moque gentiment de son parcours : „Au début, je faisais des chansons terribles. Mais j’ai appris que quand on veut quelque chose dans la vie, il faut travailler tous les jours pour y parvenir.“
Et ce ne sont pas des paroles en l’air, car il traite sa musique comme une „start-up routine“ : levé à 6 h 30 tous les matins, il se rend à la salle de musculation, se prépare des pancakes protéinés et travaille sur sa musique et ses cours. Dans son appartement d’étudiant, un petit studio de musique est aménagé à côté de son lit pour ses entraînements.
Saint Levant est ciblé par des labels qui s’intéressent à lui, mais le jeune homme gère cette célébrité naissante avec intelligence : „Je veux prendre le temps de me créer une carrière qui dure, de travailler ma musique et mon style. Ça ne m’intéresse pas de faire le buzz, puis qu’on ne parle plus jamais de moi. Je n’ai pas envie de faire un produit comme un „BigMac“, je préfère faire un sandwich avec une baguette de qualité, du bon jambon et du bon fromage, même si c’est une drôle de métaphore.“
Quand on lui demande de décrire son style, le chanteur hésite : „Je dirai de la drill, mais ce n’est pas exactement ça, parce que j’aime intégrer des sons qui me marquent. En fait, je fais plutôt de la fusion, c’est un mélange de styles.“ Si l’essence de ses morceaux vient de sa passion pour la géopolitique, avec des hommes comme Nasser ou Edouard Saïd, un professeur d’université palestinien, son grand-père et son père font aussi partie du jeu.
Même si dans son honnête modestie Marwan semble être un vieux sage rempli de connaissances, ses inspirations musicales sont plus contemporaines. Il aime le rappeur Drake : „Je m’inspire de l’énergie que l’artiste projette. Pour moi, une musique fonctionne quand on arrive à s’imaginer une image et un scénario dans la tête“. Le rookie prometteur s’identifie beaucoup au rappeur américain Tyler the creator : „Parce qu’il fait ce qu’il veut, quand il veut. S’il a une idée, il la développe, il la crée et il ne se met pas de barrières. J’aimerais faire pareil.“
L’artiste émergent s’inspire aussi du rap arabe comme celui de Marwan Moussa ou du rappeur palestinien Shabjdeed. Mais il serait insultant de réduire la bibliothèque musicale de Saint Levant à quelques noms, tant ses inspirations sont larges. Elles découlent de nombreux univers dont il s’inspire intelligemment pour composer ses œuvres d’art qui ne cessent de gagner en popularité : „Je sais que j’ai déjà des fans fidèles, notamment au Canada, mais je ne vois pas encore l’impact de mon travail sur les gens. J’ai beaucoup de retours et j’essaie de répondre à tout le monde, mais j’ai surtout hâte de chanter devant un public pour en voir vraiment l’impact.“
Le jeune garçon à l’avenir prometteur souhaite investir pleinement ses prochaines années dans sa carrière musicale, avec un EP en préparation et déjà une dizaine de morceaux en ligne. Son rêve de retourner dans sa ville natale va peut-être bientôt se concrétiser, et c’est avec une mine rayonnante qu’il l’annonce. Mais Marwan ne sait pas encore de quoi son destin est fait, et où il vivra finalement, car il entretient d’autres projets bien au chaud dans son incubateur d’idées : „Un de mes buts, c’est de fonder une université, et pourquoi pas de m’investir en politique, mais ça, on verra plus tard.“