Le Covid n’aura pas seulement affecté notre santé, notre vie, notre économie, il aura aussi réussi à mettre à l’arrêt pendant deux ans cette institution basque que sont les Fêtes de Bayonne, vieilles de 90 ans cette année.
Nées en 1932 par la volonté d’un groupe de rugbymens de l’Aviron Bayonnais, la féria bayonnaise n’aura pourtant connu qu’une seule autre « pause » dans son existence, celle, plus tragique, imposée par la Seconde Guerre mondiale. Entre 1940 et 1946, la dernière semaine de juillet sera restée silencieuse dans la cité basque. Le temps n’était pas vraiment aux danses, ni aux chants, deux traditions qui s’incarnent parfaitement dans cet événement.
Au fil des ans, les fêtes de Bayonne attirent de plus en plus de monde et pas seulement les basques. Aujourd’hui, c’est une foule bicolore très cosmopolite qui s’agite dans les rues, on trouve des gens de partout, et même d’au-delà des frontières de l’Hexagone. Pourtant la féria bayonnaise est bien une fête traditionnelle, inspirée des fêtes de San Fermin à Pampelune (Pays-basque espagnol). C’est un condensé du meilleur de la culture basque : la gastronomie, la danse, le chant, une certaine manière d’envisager et de faire la fête. Chaque année, c’est ainsi plus d’un million de personnes qui se rend au cœur de la cité pour prendre part à une ferveur basque sans égale.
„Aujourd’hui, c’est avec les enfants, demain les copains“. François, 43 ans, arrive en famille en ce début d’après-midi du jeudi 28 juillet, deuxième jour de fête. Un enfant accroché à chaque main, il se dirige vers le lieu des attractions, un espace dédié aux sensations fortes pour petits et grands au bord de la Nive (le fleuve qui traverse la ville). Ici, les gamins se mêlent aux fêtards avinés, peu soucieux de ménager leur estomac pourtant rempli de sangria et autres douceurs éthyliques. Les cris et les rires se font entendre lorsqu’une boule géante contenant les plus courageux est projetée en l’air. „Les gosses viennent le mercredi pour le roi Léon et le jeudi pour les attractions.“
Le roi Léon ? C’est la mascotte des fêtes de Bayonne. Une sorte de guignol basque géant et couronné. C’est lui qui ouvre la féria le mercredi du haut du balcon de la mairie. Les enfants l’adorent et scandent son nom. Les adultes aussi l’apprécient, François explique : „Quand le Roi Léon apparaît au balcon, on sait qu’on est parti pour 5 jours de fêtes, qu’on va retrouver nos peña et nos copains“.
Au fil de l’après-midi, les fameuses peña sont prises d’assaut par des hordes de copains. Pour les néophytes, une peña est en fait une buvette (en réalité, un groupe associatif ouvert à tous pour l’occasion). Chaque bar de Bayonne sort un comptoir en bois à l’extérieur de sa salle et réorganise son intérieur pour pouvoir accueillir les festayres (le terme pour qualifier les fêtards vêtus de blanc avec un foulard rouge). Il y en a pour tous les goûts : certaines fréquentées par des plus jeunes, d’autres par des plus vieux. D’autres encore attirent des parisiens ou des marseillais quand leurs voisines sont plébiscitées par des basques purs et durs. „Nous, on marche et on s’arrête là où la musique nous plaît„, Lorie, 25 ans, accompagnée de trois amies, déambule dans les rues un perroquet (une bouteille mélangeant Ricard et Get 27) à la main. „Il y a vraiment une ambiance de ouf, il n’y a qu’à Bayonne que tu peux voir tout le monde se mélanger comme ça, les gens dansent peu importe leur âge ou leur statut. T’aimes la musique ? Bah, tu danses et si ton voisin l’aime aussi, il danse avec toi point.“
C’est vrai qu’il y a une ambiance particulière dans Bayonne. C’est l’un des rares endroits où vous pourrez voir des grands-mères buvant et dansant comme des adolescentes, des papys au bord du coma éthylique ou encore des mères de famille à la démarche chaloupée ramenées chez elles par leurs enfants. Le fait que tout le monde soit en rouge et blanc gomme timidité, mais aussi différences culturelles et économiques ; ici, il n’y a que des festayres, des bayonnais d’un jour ou deux, prêts à faire corps tous ensemble avec la ville.
23h00, jeudi soir, un énorme concert a lieu près des Halles. La foule est impressionnante, mieux vaut ne pas égarer ses amis sous peine de finir la soirée seule au milieu de milliers de personnes. Même le réseau téléphonique est saturé, débordé par toutes les âmes esseulées cherchant à retrouver leur groupe. Les gens dansent sur des airs rocks, des chansons connues, des classiques des fêtes de Bayonne. Des jeunes fêtards grimpent sur les lampadaires, arrosés par une pluie de bouteilles en plastique jetées par ceux, en bas, qui les encouragent ou les conspuent (selon le degré d’alcoolisation). Les rues sentent l’urine, la foule s’écarte pour laisser passer des camions de secours, sûrement appelés pour venir à la rescousse des festayres qui boivent déjà depuis midi. À Bayonne, la nuit devient chaos. Passé 2h00 du matin, l’ivresse générale transforme la ville en un enfer dantesque où chacun tente de s’organiser pour quitter la cité avant que l’aube ne surprenne les moins chanceux comme les égarés, les endormis sur un bout de trottoir ou les invétérés qui continuent de siffler leur punch même après la fin des derniers concerts.*
Le lendemain, vendredi, on a l’impression qu’on n’a rêvé les scènes de la veille, tellement que la ville est propre. Les gens sont frais, souriants, prêts à repartir à l’assaut de la féria. Des bandas parcourent la cité, ces groupes de musiciens avec leurs instruments jouent tout en marchant. Certains sont venus de plusieurs coins du Pays-Basque, d’autres sont venus d’Auvergne. Transmettant une incroyable énergie, ils attirent les festayres qui les suivent en dansant, en chantant. Ils reprenant à leur guise des airs populaires comme „Non, je ne regrette rien“ d’Edith Piaf et le transforme en une balade rythmée qui parvient à faire bouger les têtes et les fesses. L’incontournable „Peña Baiona“ est aussi jouée à plusieurs reprises. C’est l’hymne des Fêtes de Bayonne, certainement entonné par plusieurs centaines de milliers de bouches pendant ces cinq jours.
En suivant les bandas, on traverse la ville et on découvre de nouveaux recoins. Le quartier du Vieux-Bayonne, surtout fréquenté par les basques, la Place Verte qui rassemble les plus jeunes, les restaurants du bord de Nive qui accueille de grandes tablées de Gargantua aux visages aussi rouges que leurs foulards. En effet, ici, manger est tout aussi important que boire. Les chipirons (petits calamars), le jambon de Bayonne, l’Ossau-Iraty et sa confiture de cerises, les taloa (galettes de maïs fourrées au lard ou au fromage) sont autant plébiscités que le Ricard ou le Kalimutxo (mélange original de vin rouge et de coca). „Manger fait partie intégrante de la culture basque, c’est un art ici, on boit oui, mais jamais le ventre vide.“ explique Benat, un habitué de longue date de la féria bayonnaise.
Cela dit, la fête s’adapte à son public : à côté des stands de nourriture traditionnelle, on trouve des foodtrucks vendant hot-dogs, sandwichs américains et malbouffe en tout genre. De quoi ravir Margaux, parisienne de 28 ans „J’avoue que moi leurs trucs basques là, j’ai un peu de mal les calamars, etc. Mais un bon burger avant de reprendre le train pour rentrer ça sauve la vie, surtout après avoir marché plus de 20 km dans la journée“.
Il faut dire que repartir des fêtes de Bayonne est autant un sport que de les faire. La plupart des festayres ne dorment pas dans la cité, ils repartent vers les différentes villes aux alentours : Biarritz, Bidart, Saint-Jean-de-Luz, Hendaye. À partir d’une heure du matin, la foule blanche et rouge prend le chemin de la gare qui met à disposition des trains, mais de manière sporadique. Attention, si vous ratez le train d’une heure, il vous faudra attendre le prochain, celui de 04h10 et affronter la foule avinée et fatiguée qui s’y engouffre.
„Franchement, c’est le moment que j’aime le moins, je suis épuisée, j’ai mal aux pieds à force d’avoir marché et dansé, les gens sont pénibles parce que trop bourrés“. raconte Juliette, la tête de son amie endormie reposant sur son épaule alors que le train les ramène jusqu’à Saint-Jean. „Les fêtes, c’est trop bien, mais ça fait du bien aussi quand ça s’arrête. Enfin, je dis ça, mais je suis sûr que demain, on va y retourner „.
Juliette, en bonne basque, est à l’image de Bayonne : enchantée de ces 5 jours de fêtes, épuisée et légèrement agacée quand elles se terminent, mais avec déjà une idée en tête : recommencer.