CINÉMA : Everything Everywhere All at Once : Pourquoi est-il un film original, et à succès ?

CINÉMA : Everything Everywhere All at Once : Pourquoi est-il un film original, et à succès ?

Everything Everywhere All at Once explose complètement les principes de nos existences dans un délire multivers explosif tout en parvenant à explorer les recoins les plus intimes de nos vies et sentiments les plus ordinaires. Épatant de poésie, générosité, sincérité et sérénité ! Par Sarah Boughanmi

Le film oscarisé sept fois, réalisé par deux réalisateurs Daniel Kwan, Daniel Scheinert et structuré en trois parties, est de retour au cinéma en France. Film à succès, de 139 minutes, dont l’extraordinaire retentissement a inspiré des critiques plus que dithyrambiques. Dans un mélange de comédie dramatique, de science-fiction, ce film traite harmonieusement les problématiques philosophiques, identitaires, générationnelles, et d’immigration. Un film gourmand et généreux, à la fois visuel, et pour son scénario relatant de sujets tout aussi graves qu’absurdes. Ce film n’aurait pas pu voir le jour en France, car la mixture fantaisie et science-fiction est encore considérée comme une sous-culture.

Photos : Allyson Riggs/Oscar®/Leonine/DR

L’origine de son succès rare et original, puisque son passage de l’anonymat à la lumière, parmi des multiples productions cinématographiques américaines, est dû en grande partie au „bouche à oreilles“. Les réalisateurs, Daniel Kwan, Daniel Scheinert (Les Daniels), surtout très actifs sur la scène musicale, ont réussi leur coup. De 2010 à 2017, le duo a réalisé plus d’une douzaine de vidéoclips pour Passion Pit, Foster The People, Tenacious D, A-Trak… Mais leur fait d’armes le plus connu, est d’avoir réalisé le fameux clip „Turn Down Of Out“ de DJ Snake, l’une des vidéos les plus bizarres et les plus mémorables de l’histoire de la musique électronique dans lequel on retrouve leur style caractéristique.

Un basculement nécessaire

En concurrence avec l’univers cinématographique Marvel, utilisant le multivers pour son aspect divertissant, le film reformule le prétexte du multivers pour exposer les possibilités de réalités différentes selon les choix du personnage principal et des différentes débouchées qui en découlent. Evelyn (Michelle Yeoh), une américaine d’origine chinoise désabusée et épuisée qui dirige une laverie automatique avec son mari souriant et décevant, Waymond. (Jonathan Huy Quan) Ensemble, ils tentent de repousser une contrôleuse des impôts, Deirdre Beaubeirdra (Jaimie Lee Curtis) déterminée et effrayante. Au fil des ans, Evelyn (qui s’évanouit devant les romances musicales à la télévision) a rêvé d’être tout, d’une chanteuse ou romancière à une thérapeute. Mais dans la vraie vie, elle est rongée par les inquiétudes concernant sa fille, Joy (Stéphanie Hsu), et son père Gong Gong (James Hong) en visite, trop effrayée pour dire à ce dernier que sa petite-fille est gay, et trop coincée pour lui dire qu’elle l’aime quand même.

Photos : Allyson Riggs/Oscar®/Leonine/DR

Mais une infinité de possibilités alternatives attendent cette anti-héroïne, Evelyn est en fait „capable de n’importe quoi… Parce qu’elle est „mauvaise en tout“. Désabusée par sa vie, elle est subitement emportée dans le voyage d’univers parallèles, lors d’un contrôle fiscal, par un clone de son mari Waymond venant de l’univers Alpha. Ce dernier lui fait comprendre que le multivers est menacé par une créature nommée Jobu Tupaki, qui serait en fait une version toute-puissante de fille Joy, qui, sous son large sweat à capuche, menace de déchirer la réalité du multivers par la création de son trou noir sous forme de Bagel. Son âme a été ébranlée et scindée par les répétitions de lourdes expériences de saut dans le multivers par Evelyn. Alpha Waymond, essaie de convaincre Evelyn, qu’elle est la seule version à pouvoir arrêter Jobu Tupaki, et pour ce faire, Evelyn devra reprendre le contrôle de parcourir ses multiples réalités à travers le multivers, en prenant la peau des multiples Evelyn (Evelyn Actrice, Evelyn lesbienne amoureuse de l’agente du fisc, Evelyn cuisinière…)

Un casting déjanté

Le film offre un fabuleux casting, avec quatre personnages, dont la matière psychologique est épaisse. Michelle Yeoh, Jonathan Huy Quan et Stéphanie Hsu sont déjà apparus dans des films d’arts martiaux comme Shang Chi, ou Breathing Fire. Les personnages ont été imaginés en fonction des acteurs. Evelyn Wang n’aurait pas vu le jour si Michelle Yeoh (la plus connue) n’avait pas accepté, a révélé un des Daniels. Joy, actrice décalée, sa bizarrerie et son sens de l’humour à taper dans l’œil des Daniels par hasard lorsqu’elle les croise sur son chemin lors d’un tournage. Quant à Jonathan Huy Quan, connu pour avoir joué dans Indiana Jones le temple Maudit, est aussi un cascadeur réputé dans les films d’arts martiaux.

Photos : Allyson Riggs/Oscar®/Leonine/DR

Les Arts Martiaux dans le Multivers

Les arts martiaux sont omniprésents durant tout le film. Rappelant l’héritage asiatique, utilisé dans le cinéma principalement dans les films de combats. Au-delà de l’esprit combatif qu’ils inspirent, les arts martiaux servent à construire des figures et positions symboliques. Le cinéma les utilise pour les enchaînements et les figures incroyables pour divertir son public par l’action. Dans ce film, Les Daniels récupèrent le plaisir visuel des arts martiaux en l’harmonisant avec la combativité des personnages et le basculement d’un univers à un autre. Les arts martiaux évoquent un surpassement de soi et de renforcement pour les personnages, notamment celui d’Evelyn. Mélanger les arts martiaux et le multivers donne un aspect impressionnant et surréaliste du film, telle était la recette voulue par les Daniels.

Les problématiques générationnelles

Evelyn est un personnage qui est désabusé par les tensions qu’elle vit au sein de sa famille. Une veille rancœur existe entre elle et son père, lui reprochant d’avoir quitté la Chine pour partir avec son mari aux USA. Son couple, fragilisé et insatisfait, est au bord du divorce. Des hostilités avec sa fille Joy, pour son orientation sexuelle et pour avoir abandonné ses études. Le personnage représente la construction réelle et logique des difficultés familiales. Son père évoque la tradition et le conservatisme des valeurs de son pays, sa fille, enfant de parents d’immigrés, parlant peu le chinois, rompt avec ces valeurs et s’américanise. Evelyn est le milieu entre ces deux extrêmes, dont la responsabilité est de réguler l’entente dans la famille. Une véritable question se pose : “ Comment s’intégrer dans le pays d’accueil, tout en transmettant les valeurs traditionnelles de nos origines „. Difficile quand père et fille n’arrivent pas à faire évoluer la ligne de tension entre l’ascendant et le descendant. Ces problématiques générationnelles sont une mise en critique de l’American Dream.


Photos : Allyson Riggs/Oscar®/Leonine/DR

Malgré tous ses attributs fantastiques, c’est un film avec des préoccupations terre-à-terre : Mères et filles, maris et femmes, maturité et coming-out, rêves et déceptions, altérité et appartenance, écarts de génération et surcharges d’informations. Le récit peut être hors de ce monde, mais les problèmes qu’il aborde (Moments fracturés, contradictions et confusion) n’ont peut-être qu’un sens éphémère, mais sont incontestablement humains. Sa relation avec son mari Waymond, exergue les fissures qui se dessinent dans le couple causé par des espérances insatisfaites. Des frustrations, des non-dits, tout est une question de communication.
Bien au-dessus de son poids, cette image indépendante et inventive affiche des ambitions spectaculaires qui démentent son budget limité. Pourtant, malgré toute son invention folle et son esprit visuel frénétique, ce qui motive cette histoire d’une femme piégée dans un monde de „blanchisserie et taxes“ est un coup-de-poing émotionnel tangible, cet effet très „spécial“ que les superproductions de franchise échouent si souvent à offrir.

Photos : Allyson Riggs/Oscar®/Leonine/DR