Les mots sont le fil rouge de sa vie, il reconnaissait volontiers l’importance de la spontanéité des mots dans sa pratique : „Quand je travaille, je les entends, vous savez, et je les jette simplement“, simplifiait il à propos des mots.
Mais le travail de l’artiste était également profondément réfléchi, tel est le produit de ses observations voraces du monde qui l’entourait. Quelques années avant sa mort, il disait : „Je ne pense pas à l’art pendant que je travaille, j’essaie de penser à la vie.“
Jean Michel Basquiat n’a pas survécu au-delà de ses 27 ans, suite à une overdose de drogue. Il a laissé derrière lui un ensemble d’œuvres qui ont transformé la peinture de manière indélébile. Peu enclin aux interviews, il a tout de même donné un jour son aperçu profond de son développement artistique et de son dynamisme. Son ami graffeur Fred Braithwaite raconte souvent que Jean-Michel a vécu comme une flamme et malgré l’extinction de cette dernière, les cendres sont restées chaudes… Né en fin d’année 1960 à Brooklyn, Jean-Michel Basquiat est un pur produit new-yorkais. Issu de parents d’origine haïtienne (son père) et portoricaine (sa mère), il s’est rebellé contre un milieu de classe moyenne pour des raisons qui restent obscures.
Une relation apparemment conflictuelle avec son père, un comptable, est évoquée, mais pas explorée. Son héritage culturel diversifié a été l’une de ses nombreuses sources d’inspiration. Adepte des bas-fonds de la ville et de la culture underground, l’artiste a réussi à créer un pont entre les univers culturels différents des noirs et des blancs. Pour lui, la musique doit côtoyer la peinture et le dialogue entre ses artistes fétiches doit s’instaurer naturellement. Artiste autodidacte, Jean Michel Basquiat s’est mis au dessin très jeune avec un talent créatif indéniable. Sa première fan fut sa mère, laquelle l’a fortement encouragé à poursuivre ses talents artistiques.
Tout d’abord, le jeune artiste a attiré l’attention pour ses graffitis à New York à la fin des années 1970. En collaboration avec un ami proche, il a étiqueté les trains de métro et les bâtiments de Manhattan avec des aphorismes cryptiques. Dans ses œuvres, son auto dérision flagrante est paradoxalement aussi forte que le racisme qu’il dénonce. Vivant chichement, il a ensuite vendu des pulls molletonnés et des cartes postales présentant ses œuvres dans les rues avant que sa carrière de peintre ne décolle. Avec son pote Fred Brathwaite, qui est aussi réalisateur et un acteur phare dans l’éclosion de la génération hip-hop, il a développé une ligne de vêtements peints à la main sous le label « Man Made » Des vêtements recyclés à partir de matériaux trouvés dans la rue et réutilisés comme une toile. Ils iront jusqu’à peindre sur des pulls, T-shirts ou combinaisons, lesquels circuleront et se vendront via la styliste Pat Field, juste avant la période des cartes postales, et de celle acquise par un certain Andy Warhol…
Trois années de lutte ont fait place à la gloire en 1980 lorsque le travail de Jean Michel Basquiat fut présenté dans une exposition collective avec le célèbre artiste pop Andy Warhol. Un travail et un style vivement salués par la critique pour la fusion de mots, de symboles, de bâtons et d’animaux. Des peintures qui sont devenues plébiscitées par un public amateur d’art qui n’a eu aucun problème à payer jusqu’à 50 000 dollars pour acquérir un original. Seul, Jean Michel Basquiat a continué à exposer à travers le pays et dans le monde. En 1986, il se rend même en Afrique de l’Ouest plus précisément en Côte d’Ivoire. La même année, toute juste âgé de 25 ans, il exposera près de 60 peintures en Allemagne à la galerie Kestner-Gesellschaft d’Hanovre, devenant ainsi le plus jeune artiste à y présenter son travail. Mais bien avant de devenir l’une des principales stars de l’art des années 1980, Jean-Michel Basquiat était un enfant de Brooklyn qui s’épanouissait dans les scènes musicales et artistiques du centre-ville de New York à la fin des années 1970, dans lequel musiciens et artistes coexistaient ensemble.
Le producteur Ed Patuto, propose trois courts-métrages explorant la relation de l’artiste avec le be-bop, la no-wave et le hip-hop. Passer d’une plateforme à l’autre et d’un genre à l’autre, était monnaie courante à cette époque et avec les petits films „Time Decorated“, on voyage à travers les influences et les aventures musicales de Jean Michel Basquiat, du hip-hop au jazz et inversement. La série comprend trois segments, „Jazz and Bebop“, „Punk and No Wave“ et „Basquiat Bebop 2 Hip Hop „, où est mis en valeur l’impact de chaque genre sur le style désormais emblématique de Jean Michel Basquiat.
Ces trois films ont été réalisés en collaboration avec le rappeur, musicien, et producteur Terrace Martin, le réalisateur afro-punk James Spooner et le professeur Dr Todd Boyd.
Produits en plein milieu de la pandémie afin de permettre au Broad Museum de Los Angeles d’honorer son héritage en explorant ses fondements musicaux et de le partager avec le public en ligne. Le musée californien possède l’une des plus grandes collections publiques d’œuvres d’art de Basquiat aux États-Unis. Le fondateur du musée, l’homme d’affaires et philanthrope Eli Broad, récemment décédé, et sa femme collectionneuse d’art et philanthrope Edythe, ont commencé leur collection Basquiat dans les années 1980, achetant les premières œuvres pour seulement 5 000 dollars, bien en dessous du record de 110 millions de dollars établi par l’artiste aux enchères en 2017.
Pour son 5e anniversaire à l’automne dernier, le musée avait prévu d’exposer pour la première fois, les 13 tableaux, mais des fermetures dues à la pandémie du Covid-19, sont intervenues. Les tableaux sont restés suspendus dans une galerie vide durant des mois, attendant le signal des autorités locales et de l’État de Californie pour autoriser le retour des visiteurs.
À la fin des années 70 et au début des années 80, Jean Michel Basquiat fréquentait des lieux new-yorkais tels que le Mudd Club, où le punk, la no-wave (une musique expérimentale d’avant-garde) et le hip-hop se mélangeaient pour créer de nouvelles formes hybrides. La no-wave elle-même est difficile à définir. C’est un courant artistique d’un genre abrasif et conflictuel, dont les musiciens n’avaient pas grand-chose en commun, si ce n’est leur rejet du statu quo. De plus, la no-wave était délibérément inaccessible au grand public.
Toutefois, Jean Michel Basquiat a formé son propre groupe no-wave, Gray, dont le nom est tiré du fameux livre d’Henry Gray, Gray’s Anatomy, qu’on lui avait donné alors qu’il se remettait d’un accident d’enfance, et qui l’a influencé toute sa vie. Dans son film, James Spooner établit un lien direct entre la volatilité de la musique et les toiles turbulentes de l’artiste new-yorkais, remplies de coups de pinceau gestuels, de personnages angoissés et de mots barrés en commentant : „L’art de Basquiat ressemble à ce qu’aucune vague ne sonne : une expression brute non formée“.
Il ne faut pas oublier que le jeune artiste avait déjà des racines à New-York dans la scène hip-hop naissante, depuis ses premiers graffitis avec son comparse Al Diaz, sous le nom de SAMO, jusqu’à la conception de la pochette et à la production compliquée de Beat Bop, un single des beatmakers et street artists Rammellzee et K-Rob.
Si le hip-hop et la no-wave sont les styles musicaux dans lesquels l’artiste à évolué, le jazz et le be-bop sont ses pierres de touche historiques. Dans son film, Terrace Martin décrit les affinités entre Jean Michel Basquiat et les icônes du jazz, en admirant le tableau de Basquiat intitulé Horn Players (1983), qui représente les légendes du be-bop Charlie Parker et Dizzy Gillespie. „En introduisant cette nouvelle vague de musiciens de be-bop, l’un de ses objectifs de Charlie Parker, était de mettre un terme à toute cette histoire qui circule dont les musiciens noirs sont aussi de victimes du racisme au quotidien“. Selon le producteur : „Basquiat était constamment conscient de la manière raciste dont il était catalogué, il a donc trouvé de nombreux parallèles entre son traitement en tant qu’artiste et celui de ses héros du jazz.“ Et en dépit du succès commercial de Jean Michel Basquiat, il a été rejeté par plusieurs critiques, dont Hilton Kramer qui, en 1997, a décrit Basquiat comme „un arnaqueur sans talent, intelligent dans la rue, mais par ailleurs invinciblement ignorant, qui a utilisé sa jeunesse, son apparence, sa couleur de peau et son abondant sex-appeal pour acquérir la célébrité“. Dans le contexte d’un monde de l’art essentiellement blanc, Jean Michel Basquiat s’est tourné vers d’autres créateurs noirs qui avaient tracé leur propre chemin dans des circonstances similaires. Dans le film signé du Dr Todd Boyd, on compare l’utilisation du texte par Basquiat à la façon dont un DJ gratte un disque, utilisant des éléments déjà enregistrés pour créer un nouveau son. „Quand je vois Basquiat barrer du texte, barrer des mots, cela a souvent impliqué, pour moi, quelque chose comme le scratching. En termes de hip-hop précoce, ce concept de remixage ressort assez fortement quand on regarde la fréquence à laquelle l’artiste utilisait ce dispositif „, explique-t-il. Le Dr Boyd établit également un lien entre l’image récurrente de la couronne dans les peintures de Basquiat, que l’on peut voir dans With Strings Two (1983) de la collection Broad, et au travers d’artistes de jazz et de hip-hop. De Count Basie et Duke Ellington au groupe de hip-hop Run-DMC, les artistes noirs se sont souvent attribué des titres honorifiques qui leur ont été refusés par le courant culturel blanc dominant.
Le Dr Boyd établit un lien entre le style apparemment chaotique et conflictuel des peintures de Basquiat et la production stratifiée et complexe des producteurs de hip-hop, comme le Bomb Squad, qui ont créé la signature sonore de Public Enemy. „La musique ne s’adresse pas nécessairement à l’auditeur. Elle s’attend à ce que l’auditeur, s’il veut comprendre, vienne à la musique.“
De la même manière, il note que: „vous ne pouvez pas regarder l’œuvre de Basquiat de manière passive, elle exige que vous vous engagiez activement avec le matériau.“ De nombreux chercheurs ont lié l’intérêt de Basquiat pour le jazz à un investissement plus important dans la culture populaire afro-américaine (par exemple, il a également peint de célèbres athlètes afro-américains), mais une explication alternative est que le jeune Basquiat s’est tourné vers la musique de jazz pour s’inspirer et s’instruire, de la même manière qu’il regardait les maîtres modernes de la peinture. Charlie Parker, Dizzie Gillespie et les autres musiciens de l’ère du be-bop se sont tristement appropriés à la fois les structures harmoniques des standards de jazz, les utilisant comme structure pour leurs propres chansons, et ont répété des motifs de notes similaires à travers plusieurs improvisations. Jean Michel Basquiat a utilisé des techniques d’appropriation similaires tout au long de sa carrière de peintre.