Yves Saint Laurent n’est pas un bel objet, ni une robe, ni une monture luxueuse : il est une vision du monde. Une philosophie incarnée dans la matière, mais qui dépasse la couture. Posséder ses collections sans comprendre son savoir-vivre revient à confondre l’apparence et l’essence. Comme Épictète, il laisse un manuel, non de maximes, mais d’images. Ce livre ne se compose pas de chapitres, mais de leçons visuelles portées par une équipe rigoureuse, Simon Baker, Elsa Janser, Serena Bucalo-Mussely, Clémentine Cuinet et d’autres mains expertes. Ensemble, ils ont traduit en pages l’enseignement d’un esthète dont chaque cliché est une révélation.



Le livre „Yves Saint Laurent et la photographie“ donne à voir l’intime et le grandiose, le dramatique du noir et la sensualité de la couleur. L’élégance, selon lui, se trouve dans le geste, l’émotion, la pensée. Non dans le faire, mais dans le vivre.
Ce livre met en avant non son savoir-faire de couturier, mais son savoir-vivre d’artiste. Sa philosophie, qu’il nommait lui-même le style. Sa tâche fut plus complexe que celle d’un penseur : ses propres mains ne suffisaient pas à traduire son génie. Il avait besoin des mains d’autres artistes, ceux qui connaissent les vertus et les vices de la lumière, ceux qui suivent les mouvements jusqu’à leur apogée, ceux qui manient les couleurs non pour peindre des tableaux, mais des souvenirs.
‘Saint Laurent s’est abandonné à la photographie comme on confie une vérité. Chaque image du livre traduit une complicité avec les photographes, une amitié, une quête commune : créer et immortaliser le beau. Ensemble, ils ont façonné la figure de la femme libre, rivale symbolique de l’homme, mais souveraine par son style. “Yves Saint Laurent et la photographie” parle avant tout du dialogue entre le couturier et l’image. Il a saisi la liberté qu’offre la photographie et a décidé de lui chuchoter toutes ses banalités et ses fantasmes. Créer et immortaliser le beau fut leur quête de vérité. Dans une célèbre citation, il différencie son art de celui de Coco Chanel : „J’essaie d’apporter aux femmes un style qui leur permette d’adapter leur personnalité à mes robes, tandis qu’une femme habillée en Chanel ressemble à Mademoiselle Chanel.“




Le style selon Yves Saint Laurent ne réside pas dans le vêtement, mais dans l’être. La photographie de Betty Catroux, captée par Helmut Newton en 1980, en est l’illustration parfaite. Allongée sur son divan, chaussée uniquement de sandales Raymondes, Betty semble habillée de Saint Laurent de la tête aux pieds. Même sans accessoires, tout en elle respire son style, regard, posture, gestes, cheveux. Il a créé la femme qui s’appartient à elle-même. Son style, encore aujourd’hui, a le pouvoir de la métamorphoser. La femme idéale, celle dont la puissance reflète la grandeur de son œuvre. Il n’y a que cette femme-là qui puisse vraiment porter ses robes. Tout en elle incarne son style. Il est dans son regard, sa posture, ses mains, ses jambes, jusqu’à ses cheveux. Yves Saint Laurent n’est pas une paire de chaussures, c’est une harmonie avec soi-même. Le pouvoir de faire la paix avec son être et de cette paix, créer le sublime. C’est la confiance en soi dans sa forme la plus noble. Une manière de se contempler. Une manière d’appréhender le monde et d’interagir avec lui.
En regardant cette photographie, je me dis : Yves Saint Laurent était le sage, et Helmut et Betty furent ses disciples. Mais il eut bien d’autres disciples : des photographes, des mannequins, à jamais marqués par son excellence.
Yves Saint Laurent, c’est cette capacité à faire la paix avec soi-même, à sublimer l’intime. Une manière de se regarder, de regarder le monde, et de l’habiter avec panache.
Ce livre est plus qu’un hommage : c’est une leçon de vie. Il m’a rappelé d’abord la beauté de la vie. Bien que ces images ne soient pas vivantes, elles semblent imperméables à la mort. Ses photographies ne respirent pas simplement le passé, elles défient le temps. Elles vibrent, rient, murmurent. Elles transmettent une puissance créatrice phénoménale qu’aucune mort ne peut altérer. Ces images, ces récits, ce dialogue entre les arts constituent l’héritage d’un grand maître dont nous sommes les descendants.
À mon sens, cet ouvrage est indispensable à la femme comme à l’homme de notre époque. Un manuel à consulter dès qu’on oublie que : „Les gens doivent changer de vie, d’esprit et de façon d’être avant de pouvoir changer de vêtements.“
Et bien qu’il soit difficile de trouver son style, une fois qu’on l’a trouvé, on trouve aussi la paix. Cet ouvrage rappelle l’importance de la quête intime de ce que nous pouvons devenir et de la sublime transformation de ce que nous sommes. Aujourd’hui, même sans mes lunettes, je vois le monde prendre de nouvelles formes. Les lunettes ne font que sublimer ce qui est déjà sublime.


